Peux-t-on déshériter son conjoint ?
Par Christophe Tunica
En théorie, c’est possible et cela porte un nom barbare … On parle d’exhérédation ! Cette option vise à priver un héritier de tout ou partie de ce que la loi lui attribuait dans la succession. Cependant, le conjoint gardera certains droits qui lui reviennent en fonction de la présence ou non, d’enfants au moment du décès mais également du régime matrimonial du couple… Quelques éclairages sur toutes ces subtilités.
La notion d’hériter réservataire
La réserve héréditaire correspond à la part du patrimoine du défunt que les héritiers réservataires vont automatiquement se partager. Il s’agit, en premier lieu, de ses descendants : enfants, petits-enfants et arrières petits-enfants, quel que soit leur statut : légitimes, adoptés ou adultérins. Pour ce qui est du conjoint survivant, pendant longtemps négligé par la loi, sa situation a bien évolué depuis la loi du 3 décembre 2001. Il peut ainsi, lui aussi, bénéficier dorénavant de la qualité d’héritier réservataire mais seulement en l’absence de descendance. (Attention ! Le partenaire survivant d’un Pacs n’est pas considéré comme un conjoint, et ne bénéficie donc pas des mêmes droits). Si vous n’avez pas encore prévu votre héritier, découvrez qui est hérite lorsque rien n’a été prévu.
En l’absence de testament, quels sont les droits du conjoint ?
- S’il n’y a pas d’enfant…
Dans ce cas, le conjoint survivant est héritier réservataire : le quart de la succession lui est donc réservé et ne peut être attribué à personne d’autre.
Le Code civil prévoit même que le conjoint survivant puisse hériter de la totalité des biens du défunt dans les situations suivantes :
- Si les parents du défunt sont décédés, sauf droit de retour des biens familiaux aux frères et sœurs (donation préalable).
- Si un ou deux parents du défunt sont vivants, le conjoint hérite de la moitié ou des trois quarts de la succession, les parents du défunt héritant chacun, du quart de la succession.
- S’il y a des enfants…
Dans le cas où les enfants sont communs au couple, le conjoint survivant aura une alternative : il pourra soit choisir de bénéficier du quart de la succession en pleine propriété, soit de la totalité en usufruit, jusqu’à la fin de ses jours.
En revanche, si au moins un enfant n’est pas issu « du même lit », l’usufruit est impossible ; le conjoint survivant reçoit, d’office le quart de la succession en pleine propriété.
Dans certains cas, le conjoint survivant ne veut pas que son enfant soit le successeur, peut-il le déshériter ?
Quelles sont les marges de manœuvre vis-à-vis du conjoint, par testament ?
Dans la mesure ou, en présence d’enfants, le conjoint survivant n’est pas héritier réservataire, rien ne s’oppose à ce qu’il soit déshérité ou que sa part soit minorée, par testament (que ce dernier soit authentique, ou oléographique).
Il y a, par contre, un droit dont on ne peut priver le conjoint survivant car il est d’ordre public : il s’agit du droit temporaire lui permettant d’habiter le logement familial pendant un an après le décès.
Par ailleurs, même en cas de testament visant à le déshériter ou à réduire ses droits, le conjoint survivant sera toujours bénéficiaire de la part de ses biens définie par le régime matrimonial des époux, c’est-à-dire :
- Si le mariage a été enregistré sous le régime de la communauté légale (communauté réduite aux acquêts), la moitié des biens communs des époux constitués pendant le mariage iront au conjoint survivant qui en est propriétaire.
- En cas de communauté universelle, il n’y a pas de bien propres à un conjoint, la moitié de tous les biens des époux iront donc au conjoint survivant (clause d’attribution intégrale à prévoir).
- Enfin, si le régime est celui de la séparation de biens, il n’y a pas de biens communs… Le conjoint survivant n’aura donc que ses biens propres.
La donation entre époux ou « donation au dernier vivant »
La loi a prévu, par le biais de l’article 1094-1 du Code civil, de permettre aux époux – s’ils le souhaitent – de donner une part plus importante à leur conjoint que ce que le droit commun leur offre. On parle de « donation au dernier des vivants » ou encore de « quotité disponible spéciale ». Celle-ci est donc attribuée au seul conjoint survivant qui peut en bénéficier selon trois modalités au choix au moment du décès :
- Soit en recevant l’équivalent de la quotité disponible ordinaire ;
- Soit en recevant un quart de la succession en pleine propriété et trois quarts en usufruit ;
- Soit en recevant la totalité de la succession en usufruit.
De plus, si le conjoint survivant considère que ce qu’il reçoit est largement suffisant, voire trop important, il peut « cantonner son émolument », les biens résiduels allant alors directement aux héritiers réservataires. Il est important de préciser ici que l’administration fiscale ne considère pas cette opération comme une donation indirecte et ne réclamera donc pas de droits de donation sur ces actifs transmis.
Et si une procédure de divorce est en cours ?
Tant que le jugement définitif de divorce n’est pas intervenu, le régime matrimonial reste applicable avec toutes ses conséquences, et parmi elles la vocation du conjoint à hériter. Certains couples mariés prévoient la rédaction d’un testament visant à déshériter son conjoint, pendant la procédure de divorce. Mais ce sera uniquement lorsque le divorce aura été prononcé (ou qu’il aura acquis sa « force exécutoire ») que l’ex-époux pourra être déshérité.