Est-il possible de déshériter un enfant ?
Par Christophe Tunica
En France, le Code civil, en imposant lors de la succession le principe de la « réserve héréditaire », empêche, en théorie de déshériter un enfant. Cependant il existe une exception très encadrée par le Code civil où l’enfant perd sa qualité d’héritier réservataire ; il s’agit de la condamnation pour « comportement indigne ». Par ailleurs, il existe aussi des dispositifs (tout à fait légaux) permettant de favoriser un ou plusieurs de ses enfants, ce qui se fera forcément au détriment des autres. Voyons ensemble quelles sont les règles liées à la part héréditaire, mais aussi la règle d’exception, ainsi que les dispositions légales permettant soit d’échapper à la réserve héréditaire, soit d’avantager l’un ou plusieurs de ses descendants.
Les règles de partage imposées par le Code civil
La loi française dispose par l’article 912 du Code civil, qu’un défunt – qui avait sa résidence habituelle en France au moment de son décès – ne peut pas déshériter ses enfants, grâce au principe de la réserve héréditaire. On entend par ce terme, la part d’héritage incompressible qui est systématiquement dévolue aux descendants du défunt, à savoir :
• En présence d’un seul enfant, la part réservataire correspond à la moitié de la succession,
• S’il y a deux enfants, ils se partagent les deux tiers de la succession,
• S’il y a trois enfants et plus, ils se répartissent les trois quarts de la succession.
La quote-part restante, une fois cette répartition réalisée – qui est donc dépendante du nombre d’héritiers réservataires – est appelée la « quotité disponible ». Le défunt peut avoir prévu via une donation ou un legs testamentaire, d’attribuer cette quote-part à la personne de son choix, membre de la famille ou non : des petits-enfants, un conjoint survivant, un ami, un voisin, une association agréée etc..
Pourquoi et comment déshériter un enfant pour comportement indigne ?
Le comportement indigne est une exception au principe de la réserve héréditaire. Il répond donc à des exigences particulières, très encadrées. Ainsi, l’art. 726 du Code Civil prévoit d’appliquer cette exception de manière systématique dans le cas où l’enfant a été « condamné comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt » ou « pour avoir volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entrainé la mort du défunt sans intention de la donner ». Le Code civil prévoit également, selon son article 727, des situations où l’enfant « peut » être reconnu indigne, dans les cas où :
• Il a été condamné à une peine correctionnelle en tant qu’auteur ou complice pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt (contrairement à l’article 726 du Code civil on parle de peine correctionnelle et pas criminelle) ;
• Il a été condamné à une peine correctionnelle en tant qu’auteur ou complice pour avoir volontairement commis des violences ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner ;
• Il a été condamné à une peine criminelle ou correctionnelle pour avoir, en tant qu’auteur ou complice, commis des tortures et actes de barbarie, des violences volontaires, un viol ou une agression sexuelle envers le défunt (il s’agit là d’une nouveauté introduite par la loi du 30 juillet 2020) ;
• Il a témoigné de façon mensongère contre le défunt dans une procédure criminelle ;
• Il s’est volontairement abstenu d’empêcher soit un crime soit un délit contre l’intégrité corporelle du défunt d’où il est résulté la mort, alors qu’il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers ;
• Il a procédé à des dénonciations calomnieuses contre le défunt lorsque, pour les faits dénoncés, une peine criminelle était encourue.
Dans tous ces cas l’indignité n’est pas automatique : elle doit être prononcée par le juge via une déclaration d’indignité. C’est alors aux héritiers de faire valoir leur demande dans les six mois qui suivent le décès. S le jugement de culpabilisation d’un des héritiers est rendu après le décès, la demande doit être faite dans les six mois après le rendu dudit jugement. Si l’indignité est reconnue par la justice, les répercussions pour l’enfant sont particulièrement graves puisqu’il est donc exclu de la succession. Il doit alors rendre les avantages éventuellement déjà perçus, comme les avances d’hoirie, sauf si le défunt a rédigé un testament dans lequel il indique lui pardonner et l’inclure malgré tout dans le partage de la succession. Par ailleurs, un héritier frappé d’indignité, n’a cette qualité que pour l’ascendant envers lequel il a eu un comportement indigne. Ainsi, par exemple, il peut tout à fait hériter de sa mère si son comportement n’a été reconnu indigne qu’envers son père… Et vice versa !
Comment échapper à la règle de la part réservataire ?
S’exiler fiscalement, s’installer dans un pays où la règle civile de la part réservataire n’existe pas, ou encore y adopter un dispositif légal excluant cette réserve héréditaire, peut être un moyen d’échapper à la loi française. En effet, il faut savoir que depuis 2017, dans le cadre des successions internationales, une loi étrangère ignorant les dispositions françaises en matière de réserve héréditaire n’est pas contraire à l’ordre public international. La succession peut alors être régie dans le cadre légal local selon la situation d’espèce.
Comment avantager un ou plusieurs enfants par rapport aux autres ?
Le testament
La rédaction d’un testament est en effet une façon d’avantager l’un ou plusieurs de ses descendants en prévoyant de leur octroyer tout ou partie de la quotité disponible, quote-part dont on peut disposer à sa guise. Ainsi, par exemple, en présence de 2 enfants, chacun recevra sa part réservataire, soit un tiers de l’héritage. Mais si le défunt en a décidé ainsi, un enfant avantagé pourra recevoir, en sus, tout ou partie du tiers correspondant à cette quotité disponible.
L’assurance-vie
L’assurance-vie est un produit financier qui permet de transmettre des sommes d’argent hors part successorale, tout en bénéficiant d’une fiscalité très favorable. Il est donc possible d’avantager l’un de ses enfants en le désignant bénéficiaire de son contrat, sans se soucier des règles de droit civil. Lors de la succession, le patrimoine est partagé selon les règles légales entre les différents enfants, mais les fonds du contrat d’assurance-vie sont transmis au bénéficiaires désigné sans que cette opération ne passe devant le notaire.
La tontine
La clause tontine ou encore « clause d’accroissement » est une clause insérée dans un contrat d’acquisition réalisé en commun avec une ou plusieurs autres personnes qui stipule que le dernier des vivant sera considéré comme seul et unique propriétaire de la totalité des actifs concernés par ledit contrat (immobilier, titres de sociétés, valeurs mobilières, etc.). A terme, le pacte est donc dissout et le capital constitué réparti entre le ou les bénéficiaires toujours en vie, celui-ci ou ceux-ci étant réputés propriétaires du bien depuis… la date de départ du contrat !